Pour comprendre un paysage, il faut tout d’abord s’intéresser à sa structure (le squelette géologique) et aux matériaux (les roches) qui le composent. La complexité et l’exceptionnelle diversité géologique distinguent le paysage du haut Val-Montjoie.


Figure 2.1 : Gneiss dont l'ensemble de ce paysage est formé. Contrairement aux granites du NE du massif du Mont-Blanc qui forment de grandes aiguilles effilées, les gneiss qui composent tout le SW du massif (dont le sommet du Mont-Blanc) donnent des sommets plus arrondis (© NRG).

De très vieilles roches

La première étape du voyage dans le temps que permet le paysage de la réserve naturelle des Contamines-Montjoie mène à un passé lointain. En effet, il faut remonter à plus de 300 millions d’années (Ma) (figure 2.2) pour assister à la formation des roches qui composent actuellement le Sud massif du Mont-Blanc: les gneiss et les micaschistes (figure 2.1). Ces roches sont métamorphisées. Elles résultent de la recristallisation et de la déformation d’anciennes roches en profondeur, dans des conditions de pressions et de températures très élevées. Les gneiss présents dans le paysage de la réserve ressemblent ainsi à un mille-feuille : les minéraux qui les composent ont été écrasés, orientés par la pression souterraine.


Figure 2.2 : Echelle de temps géologique et les principales étapes de l'histoire des Alpes évoquées dans cette partie (© NRG).

La tectonique des plaques résulte de la dynamique interne de la Terre et plus particulièrement de la convection du magma dans le manteau terrestre. Le principe est le même que le mouvement de l’eau bouillante dans une casserole où les différences de températures mettent la matière en mouvement. Il y a 300 Ma, cette dynamique permet à ces gneiss d’apparaître à la surface de la Terre lors de la formation d’une chaîne de montagne sur la Pangée. Ce massif montagneux est alors érodé pendant des millions d’années et s’aplanit, constituant un socle cristallin. Il est difficile d’imaginer le paysage de l’époque : la vie terrestre se développe (grands amphibiens et premiers reptiles) dans des écosystèmes où l’on retrouve notamment des fougères et de grands arbres (dont les premiers conifères).


Figure 2.3 : Coupe simplifiée du secteur du massif du Mont-Blanc au Jurassique avec : le bassin sédimentaire de la couverture du Mont-Blanc (violet) et le bassin sédimentaire de la nappe de Roselette (vert, © NRG).

L’océan et les roches sédimentaires

À -270 Ma, la tectonique des plaques mène à la fragmentation de la Pangée : un océan, la Téthys, va alors séparer la Laurasie et le Gondwana. Le socle cristallin qui deviendra le massif du Mont-Blanc est immergé dans des eaux dont la profondeur et l’environnement varient. La matière organique et minérale s’y accumule (figure 2.3). Leur solidification et compaction forme des roches sédimentaires pouvant atteindre des milliers de mètres d’épaisseur. Cette couverture sédimentaire déposée sur le socle prend ainsi différentes formes (figure 2.4), dont voici les principales retrouvées dans la réserve :

  • schistes argileux (anciennes boues) : sous les pâturages de la Balme, aux Thovassets ;

  • dolomie (roche issue de la précipitation de carbonate de calcium et de magnésium en lagune côtière chaude) : Plan Jovet ;

  • grès (sables consolidés) : crête des Fours ;

  • calcaire (roche issue de la précipitation de carbonate de calcium et de l’accumulation au fond des mers de squelettes et coquillages) : Massif de la Pennaz – Roches Franches.


Figure 2.4 : Schistes argileux et calcaires massifs. Les schistes sont facilement érodés et produisent des sédiments fins : les schisteux ont souvent une pente régulière où les sédiments ont été équilibrés. À l'inverse, le calcaire massif est plus résistant et constitue les barres rocheuses et les dalles raides de la Pennaz (© NRG).

La subduction / collision

La dynamique d’extension ayant créé la Téthys s’inverse à partir de -130 Ma, provoquant la fermeture progressive de l’océan. L’Apulie (plaque adriatique correspondant à une partie de l’Italie) est repoussée vers le Nord par la remontée de l’Afrique et déplace l’Ibérie (plaque correspondant notamment à l’Espagne, la Corse et l’actuelle partie centrale des Alpes). Une partie de l’Europe, l’Ibérie et l’océan disparaissent sous l’Apulie qui remonte (on parle de subduction) mais une portion des roches est raclée en surface et se déforme. La collision/subduction entre ces plaques se poursuit et les déformations générées vont atteindre quelques milliers de mètres en surface et près de 50 km de profondeur. Les structures géologiques subissent des déformations plastiques (plis) et cassantes (failles). La couverture sédimentaire reste parfois collée au socle, comme le montre par exemple la couverture (grès, dolomies, etc.) qui apparaît sur l’extrémité Sud du Massif du Mont-Blanc dans le secteur de la crête des Fours (figure 2.5). À l’inverse, la couverture (et une partie du socle) est parfois déplacée sur d’importantes distances (pouvant atteindre des dizaines de kilomètres), formant des nappes de charriage. Tout comme la sauce d’un sandwich est expulsée lorsque celui ci est comprimé, ces nappes ont été déplacées lors de la compression de la croute terrestre. Ainsi, l’immense couverture sédimentaire se trouvant sur la partie Nord-Ouest du Mont Blanc a été déformée et déposée sur plus de 30 km, formant les massifs calcaires/schisteux du Haut-Giffre, de Platé, de l’Arly, des Aravis et des Bornes. Le même processus explique la présence de la nappe de Roselette (massif de la Pennaz-Roselette) dans la réserve naturelle des Contamines-Montjoie. La Pennaz est composée de calcaire massif (couverture) et Roselette comprend des calcaires et des gneiss (couverture et socle). Ces roches sont originaires du versant italien du Massif du Mont-Blanc et ont été déplacées par dessus le massif du Mont-Blanc.


Figure 2.5 : Coupe géologique actuelle simplifiée du haut Val-Montjoie. La structure est complexe, plissée (Af = anticli- nale des Fours) et fracturée (Fcn = faille de la combe noire). Roselette est un lambeau d'une nappe fortement érodée
(en vert). Dans le secteur du Col du Joly, le socle est scindé en deux et correspond au prolongement du synclinal de Chamonix (Sc), entre les massif des Aiguilles Rouges et le massif du Mont-Blanc (coupe d'après Jean-Luc Epard; modèle 3D tiré de Google Earth; © NRG).

Alors que ces grandes déformations se poursuivent, le relief alpin se développe et subit une intense érosion. Ainsi, les gneiss du Massif du Mont-Blanc, enfouis sous des kilomètres de roches, ne réapparaissent à la surface de la Terre que depuis une dizaine de millions d’années, en conséquence de l’érosion des couches qui les recouvraient et du soulèvement du Massif. Dans ce prolongement, une grande partie de la nappe de Roselette a été érodée par le soulèvement du Massif du Mont-Blanc et il n’en subsiste qu’un lambeau présent dans la réserve naturelle (figure 2.5 et 2.6). Ainsi, la nappe de Roselette correspond aujourd’hui à un îlot géologique (on parle d’une klippe) déconnecté de sa patrie (zone d’origine) par l’érosion.

La structure actuelle

Aujourd’hui, on retrouve donc deux grandes unités géologiques dans la réserve naturelle des Contamines-Montjoie (figure 2.6) :

  • le Massif du Mont-Blanc : il correspond au socle autochtone (gneiss) et à sa couverture peu épaisse (grès, dolomies, schistes) lorsqu’elle n’a pas été érodée ;

  • la nappe de Roselette : c’est un lambeau charrié (déplacé) d’une partie du socle (gneiss) et de la couverture (calcaire, schistes) provenant du versant italien du Massif du Mont-Blanc.


Figure 2.6 : Structure géologique simplifiée du vallon de la Rollaz depuis Tête Noire avec : les gneiss du massif du Mont-Blanc (rouge), la couverture sédimentaire (schistes/grès) du massif du Mont-Blanc (bleu), les gneiss formant l'Aiguille de Roselette (traitillés vert) et les calcaires/schistes de nappe de Roselette (vert). Déplacer la main pour afficher le calque (photo J. Heuret, © NRG).

Le paysage actuel, dont l’érosion a sculpté les contours, est fortement lié à cette structure géologique. En effet, les zones de faiblesses géologiques (failles, plis où l’on retrouve actuellement la couverture sédimentaire) et les roches les moins résistantes (schistes) se sont érodées plus rapidement que les secteurs dépourvus de cassures et que les roches plus résistantes (gneiss). Les conséquences de cette érosion différentielle sont visibles dans la réserve naturelle :

  • les plis synclinaux (plis concaves où les roches les plus jeunes se retrouvent au centre) sont surcreusés, exploités préférentiellement par l’érosion. C’est par exemple le cas des dépressions rectilignes parallèles (elles sont orientées SW-NE, en réponse à la contrainte de compression locale SE-NW liée à la collision entre l’Apulie et l’Europe) que l’on retrouve dans toute la réserve : la partie amont du vallon de Tré-la-Tête depuis le col infranchissable (synclinal de Tré-la-Tête) ; entre le col du Bonhomme et les Lacs Jovet (synclinal du Col du Bonhomme) ; entre la Combe des Chasseurs, le vallon de la Rollaz et la Combe Noire (synclinal de la Combe Noir) ; entre le col de la Cicle et le vallon de la Gorge (synclinal de la Gorge). De même, les zones schisteuses (col du Bonhomme, vallon de la Rollaz, vallon de la Frasse) et avec des dolomies (Plan Jovet, vallon des Jovets), ont subi une érosion plus intense que les secteurs de gneiss voisins ;

  • à l’inverse, les principaux sommets de la réserve sont constitués de roches ayant une bonne résistance à l’érosion (gneiss pour Roselette, la Cicle et tout le massif du Mont-Blanc ; calcaire pour l’Aiguille de la Pennaz).


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