Les grandes formes actuelles du relief du haut Val-Montjoie sont liées à l’érosion glaciaire, dont l’intensité diminue à partir du dernier maximum glaciaire. Le réchauffement du climat entraine alors un important retrait des glaciers alpins. De nombreuses accumulations de sédiments témoignent de cette déprise glaciaire dans le paysage.


Figure 4.1: Le paysage actuel de Plan Jovet et l’occupation glaciaire probable il y a 11 500 ans. La pente dans laquelle re- montent les sentiers vers les lacs Jovet est constituée des sédiments glaciaires déposés par les eaux de fontes (déplacer la main pour afficher le calque, © NRG).

Le climat se réchauffe rapidement

Il y a 18 000 ans, l’hémisphère Nord subit une nette augmentation de l’intensité du rayonnement solaire estival. Le bilan de masse négatif des glaciers alpins (ablation > accumulation) induit une importante diminution de la surface occupée par les glaciers alpins, qui fondent plus vites qu’ils n’avancent. Avec ce recul, les glaciers se cantonnent peu à peu dans les plus hauts secteurs alpins (figure 4.1 et 4.3). Les immenses fleuves de glace qui s’écoulaient vers les piémonts se transforment en petits glaciers déconnectés les uns des autres. Cette période appelée Tardiglaciaire dure jusqu’à 11 000 BP et correspond à la fin de la glaciation du Würm. Ainsi, en près de 15 000 ans (du dernier maximum glaciaire à la fin du Tardiglaciaire), le volume glaciaire chute drastiquement et plus de 95% du volume initial disparait. Toutefois, le retrait glaciaire n’est pas linéaire et des phases d’avancée, de stabilisation et de retrait se succèdent en raison des nombreuses oscillations climatiques (notamment liées à la circulation des courants océaniques).


Figure 4.2: Le rôle d’un glacier dans la production, le transfert et le dépôt des sédiments (© NRG).


Le glacier transporte et dépose des sédiments : les moraines

Comme l’illustre le chapitre précédent (L’Âge de Glace), un glacier est un puissant agent d’érosion qui modifie profondément le relief. La pression qu’il exerce produit des sédiments en abrasant et en arrachant les roches (figure 4.2). Ces fragments de roche sont alors incorporés dans la glace et transportés par l’écoulement glaciaire. À cette charge sédimentaire, s’ajoute tous les sédiments tombés sur le glacier (chute de bloc, éboulement, dépôts torrentiels) depuis les versants dominants. Ainsi, un glacier joue un rôle prépondérant dans le transfert sédimentaire : c’est une forme de tapis roulant où les sédiments sont déplacés dans et sur la glace. L’ensemble de ces sédiments transportés par le glacier est appelé moraine. Lorsque la glace fond aux limites aval d’un glacier, ce matériel est déposé. Dans ce prolongement, lorsqu’un glacier est en équilibre (accumulation = ablation) et que la position de son front ne bouge pas, tout le matériel est déposé au même endroit et s’accumule progressivement en formant une crête (à la manière d’un tapis roulant dans une gravière qui accumule un amas de sédiments). Lorsque le bilan de masse positif (accumulation > ablation) fait gagner du terrain à une langue glaciaire, celle ci se comporte comme un bulldozer et pousse les sédiments qui se trouve devant elle (notamment les anciennes moraines déposées). De ce fait, un glacier peut former de grandes accumulations de sédiments, appelées cordons ou crêtes morainiques. Lors de la fonte du glacier (bilan de masse négatif), ces grandes crêtes demeurent dans le paysage et témoignent d’une avancée ou d’une phase de stabilité glaciaire.


Figure 4.3: Carte des principales moraines présentent dans la réserve et chronologie du retrait glaciaire tardiglacaire dans la vallée du Bon Nant (cette dernière est adaptée d’après Glaciers-Climat.com, © NRG, cliquer pour agrandir).


Les traces du désenglacement dans le haut Val-Montjoie

Ces moraines sont très intéressantes car, lorsqu’elles n’ont pas été érodées ou recouvertes par d’autres sédiments, elles permettent de reconstituer certaines étapes du désenglacement (figure 4.3). En effet, le fait qu’un glacier en avançant détruise toutes les moraines qu’il trouve sur son passage expliquent que toutes les moraines conservées dans le paysage témoignent d’une extension glaciaire qui n’a jamais été atteinte par la suite. En relevant toutes les moraines (où toutes traces indirectes d’occupations glaciaires comme des dépôts torrentiels contre un glacier) présentes dans une vallée, il est possible de reconstituer une chronologie relative du désenglacement en différents stades (période d’avancée ou d’équilibre glaciaire qui n’a plus été atteinte par la suite) successifs. Cette chronologie peut ensuite être datée, en comparaison avec d’autres situations alpines où des datations absolues (cette moraine a x millier d’année) ont été effectuées. Voici quelques étapes notables du retrait glaciaire du haut Val-Montjoie :

⊗ 18 000 – 15 000 BP :

  • les glaciers recouvrent encore largement les secteurs les plus hauts et les vallées principales: vallée du Bon-Nant, vallon d’Armancette, vallon Tré-la-Tête, vallon des Jovet, combe Pennaz-Cicle ;
  • des secteurs, moins favorables à l’accumulation de neige et où les glaciers ne s’écoulent pas depuis l’amont, sont désenglacés : la Frasse, Tête Noire, les pâturage de la Balme, versant sud des Monts-Jovet.


Figure 4.4: Le paysage actuel de la Balme et l’occupation glaciaire probable il y a 14 000 ans. Il est probable que des glaciers rocheux (voir chapitre suivant) se sont développés à la même période sous la Tête de la Cicle (déplacer la main pour afficher le calque, © NRG).

⊗ 14 000 BP (stade de la Bottière) :

  • les systèmes glaciaires sont individualisés et les principaux glaciers locaux sont : le glacier de Tré-la-Tête (front à la Bottière, d’où le nom du stade glaciaire), le glacier d’Armancette (front au-dessus du Cugnon, les sédiments présents dans le cours d’eau qui s’écoule du glacier se déposent au Cugnon et forment un grand cône de déjection), le glacier de la Pennaz-Roselette (sa langue glaciaire laisse une immense moraine qui occupe tout le haut du vallon de la Rollaz à la Balme ; les sédiments présents dans le cours d’eau qui s’écoule du glacier se déposent et forment un grand cône de déjection, figure 4.4) et le glacier des Jovets (front situé à l’aval de Plan Jovet, un pylône électrique a été construit sur la moraine gauche) ;
  • le vallon de la Rollaz est désenglacé et est barré à l’aval par le glacier de Tré-la-Tête. De nombreux secteurs ne sont plus recouverts de glace, en raison de la disparition et de l’amincissement des glaciers existants.


Figure 4.5: Le paysage actuel aux alentours de Nant Borrant et l’occupation glaciaire probable il y a 11 500 ans. Il est probable qu’un lac se soit formé à la Giettaz dans les moraines barrant le vallon de la Rollaz (modèle 3D tiré de Google Earth ; déplacer la main pour afficher le calque, © NRG).

⊗ 12 000 BP (stade de la Gorge) :

  • après une période de réchauffement intense, les glaciers réavancent une dernière fois avant la fin du Würm. Les principaux systèmes glaciaires locaux sont : le glacier de Tré-la-Tête (front à proximité du hameau de la Gorge, d’où le nom du stade glaciaire, figure 4.5), le glacier d’Armancette (front vers 1400m, figure 4.6), le glacier des Jovet (front au-dessus de Plan Jovet, figure 4.1) et les glaciers de la Pennaz et Roselette-Cicle maintenant déconnectés (présence de nombreuses moraines liés à cette période au dessus de la Balme);
  • le vallon de la Rollaz est désenglacé et barré à l’aval par le glacier de Tré-la-Tête (notamment par la grande crête morainique de Pré Derrière à la Giettaz). De nombreux secteurs ne sont plus recouverts de glace, en raison de la disparition et de l’amincissement des glaciers existants.


Figure 4.6: Le paysage actuel du vallon d’Armancette et l’occupation glaciaire probable il y a 11 500 ans. Le cône du Cugnon est constitué des sédiments glaciaires déposés par les eaux de fontes (modèle 3D tiré de Google Earth ; déplacer la main pour afficher le calque, © NRG).


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