La glaciation würmienne prend fin il y a 11 000 ans avec un net réchauffement du climat. L’Holocène, la période interglaciaire dans laquelle nous vivons actuellement, débute alors et le climat se stabilise. L’évolution du relief se poursuit lentement alors que la végétation et l’Homme s’installent durablement dans le paysage.


Figure 6.1: Le paysage actuel de la partie aval du bassin de Tré-la-Tête et l’occupation glaciaire en 1820 (déplacer la main pour afficher le calque, photo J. Heuret, © NRG).


Les variations climatiques et leurs conséquences dans le paysage

Comme l’a montré le chapitre 4, la fin du Würm (Tardiglaciaire) est synonyme d’un intense réchauffement du climat pendant 15 000 ans. Toutefois, durant cette période, l’occupation glaciaire demeure importante et plus de la moitié du haut Val-Montjoie est toujours recouvert de glace il y a 11 000 ans (figure 4.3). Le climat poursuit alors son réchauffement, notamment en raison de la circulation des courants océaniques. La glaciation prend fin (les conditions ne sont plus propices qu’à l’existence de petits glaciers cantonnés dans les plus hauts secteurs des Alpes) et une période interglaciaire commence : l’Holocène (figure 6.2). Le climat se stabilise et les modestes oscillations climatiques (l’amplitude maximale des températures moyennes est d’environ 2°C) sont liées aux variations des courants océaniques et du rayonnement solaire.


Figure 6.2 : Chronologie du retrait glaciaire depuis 14 000 ans (adaptée d’après glacier-climat) et implantation progressive de la flore, de la faune et de l’Homme dans la vallée du Bon Nant (© NRG).

  • a) Pendant les périodes chaudes, comme par exemple lors de l’optimum climatique holocène, les glaciers fondent rapidement et disparaissent de nombreux secteurs alpins. Dans ce climat favorable, la végétation et les arbres se sont développés plus haut en altitude. Ainsi, la limite de la forêt, actuellement à 1900m dans le haut Val-Montjoie a probablement déjà dépassé les 2000m et les pâturages de la Balme ou encore Plan Jovet ont peut-être déjà été recouverts de forêts par le passé. De même, de nombreux passages entre les vallées sont désenglacés et permettent les échanges entre les hommes. En ce sens, le nom du col du Moyen-Âge (figure 6.1) est peut être lié à sa fréquentation avant le début du Petit Âge Glaciaire vers 1350.
  • b) Pendant les périodes froides, les glaciers gagnent du terrain dans les Alpes et la limite supérieure de la végétation diminue. La dernière période froide notable est le Petit Âge Glaciaire (entre 1300 et 1850), liée à la diminution du rayonnement solaire et à l’augmentation des précipitations en hiver. Les glaciers ont avancé partout dans les Alpes, créant l’inquiétude des populations locales. Ils atteignent même parfois les fonds de vallée comme à Chamonix avec les glaciers d’Argentière, des Bossons et la Mer de Glace. Dans le massif du Mont-Blanc, la dernière grande avancée s’effectue en 1820 : toute la partie amont du vallon d’Armancette est recouverte de glace (figure 6.3), le glacier de Tré-la-Tête occupe la Combe Blanche jusqu’à 1600m (figure 6.1), le glacier de la Bérangère atteint 2660m (100m au dessus du refuge des Conscrits) et de petits glaciers s’installent dans le vallon des Jovet (voir le chapitre 7).

Figure 6.3 : Carte de l’extension glaciaire holocène (notamment le Petit Âge Glaciaire) et actuelle dans la Réserve des Contamines-Montjoie (cliquer pour agrandir, © NRG).

  • c) Aujourd’hui, le climat s’est nettement réchauffé en raison de l’augmentation du rayonnement solaire et surtout des émissions de gaz à effet de serre dues aux activités humaines. Depuis 150 ans, les températures moyennes ont ainsi augmenté de 1,5°C dans les Alpes, générant un retrait rapide des glaciers (figure 6.1) et des changements dans la répartition des espèces végétales (chapitre 8).

Au cours de l’Holocène, les différents processus liés aux glaciers, au froid, à l’eau et à la gravité (voir les chapitres précédents) poursuivent lentement le modelage du paysage. Toutefois, à l’échelle des temps géologiques, l’évolution du paysage tend à se stabiliser car les variations climatiques sont mineures et notamment parce que la végétation le recouvre largement, limitant l’impact des différents processus.


Une multitude d’espèces colonisent le paysage

Si des espèces végétales (steppe arctique, forêt pionnière), animales (mammouth, ours, etc.) et l’Homme (chasseurs nomades) font déjà partie du paysage à la fin de la dernière glaciation, l’implantation durable d’une multitude d’espèces dans le haut Val-Monjtoie est rendue possible par le réchauffement et la stabilisation du climat lors de l’Holocène. Dans le Val Montjoie, le climat est semi-continental (relativement frais et humide). Le relief y est fortement arrosé par les perturbations qui proviennent majoritairement de l’Atlantique et se déchargent sur les premières crêtes qu’elles rencontrent (situation au N-O des Alpes). Cela explique l’exceptionnel taux d’englacement du massif du Mont-Blanc dans les Alpes (il reçoit de très grande quantité de neige) par rapport à d’autres hauts secteurs moins exposés à ces flux humides. L’influence climatique du massif du Mont-Blanc se traduit également par la forte nébulosité (il attire et permet la formation de nuages), le froid (brise des glaciers, ombrage, inversion des températures provoquant des stratus) et la sécheresse de la vallée (les nuages se déchargent principalement sur les hauts secteurs). Cette relative rudesse du climat explique la très grande domination locale de l’épicéa (pessière, voir ci-dessous) au détriment de l’hêtre, du mélèze et du sapin. Finalement, le foehn (ou appelé localement piémont), vent chaud qui provient du Sud Est, peut produire des rafales de vents pouvant atteindre 100 km/h. Dans le paysage, les tempêtes qu’il génère peuvent avoir des conséquences très importantes, détruisant des toitures et d’importantes surfaces forestières (une grande partie des épicéas de Pré-Derrière (figures 3.7 et 4.5) la Combe Noire ou encore Armancette se sont brisés lors d’une tempête de foehn en 1982.

a) Sol et végétation


Figure 6.4 : Profil réalisé dans les Alpes (Val de Moiry, Valais). Le sol est issu de la rencontre entre les éléments minéraux et organiques (photo T.Ferber, © NRG).

Après le retrait glaciaire, les roches sont soumises aux conditions atmosphériques et se fragmentent en éléments toujours plus petits. Des organismes vivants (plantes, champignons, algues, bactéries, vers de terre, etc.) progressivement cette couche minérale. Ainsi, la surface (jusqu’à quelques mètres) de la Terre se transforme progressivement en un complexe de matière minérale et organique : le sol (figure 6.4). Constituant un réservoir de matière dont les organismes vivants ont besoin pour se développer, le sol devient le support de la vie terrestre. Dans ce prolongement, le retrait glaciaire permet l’installation successive sur ces jeunes sols des herbes pionnières, des buissons, des arbres puis des forêts.


Figure 6.5 : Carte de la répartition actuelle des principales unités végétales dans la Réserve des Contamines-Montjoie (d’après les travaux d’ASTERS, cliquer pour agrandir, © NRG).

Les sols du haut Val-Montjoie se distinguent par leur très grande diversité. En effet, en raison de l’importante extension verticale, des variations de la topographie et de l’importante diversité des roches, les sols locaux ont des caractéristiques chimiques, physiques et biologiques très hétérogènes. Ainsi, les sols développés sur les gneiss sont plutôt acides tandis que ceux développés sur les calcaires auront une tendance basique. Bien que certaines espèces végétales puissent croître sur tous les types de sols, certaines ont besoin de conditions chimiques particulières. C’est le cas par exemple des landes à rhododendrons qui se répandent sur les sols acides. La diversité des sols induit donc une très grande diversité végétale locale. 679 espèces floristiques (dont certaines extrêmement rares) ont été répertoriées récemment dans la réserve. Les principales unités végétales sont (figure 6.5 et 6.6) :

  • la pelouse alpine : sur les zones de haute altitude où seules des herbacées peuvent pousser et sur les secteurs pâturés par le bétail;
  • la lande à rhododendrons et myrtilles : sur les gneiss et moraines de gneiss où le sol est acide;
  • l’aulnaie verte : forêt buissonnante de vernes ou voraches qui se développent dans les zones humides et les couloirs d’avalanche ;
  • les marais / tourbières : dans les zones humides et plates où la rétention d’eau et l’absence d’oxygène empêche une bonne décomposition de la matière organique ;
  • la pessière : forêt d’épicéa localisée sur les versants, entre la vallée et 1900m, dans les zones trop raides pour être pâturées et là où la forêt protège la vallée des avalanches.

Figure 6.6: Les principales unités végétales du haut Val-Montjoie depuis Plan Jovet. Au premier plan, la zone marécageuse correspond à une ancienne dépression érodée par les glaciers (ombilics) où un lac s’est installé après le retrait glaciaire. Celui-ci s’est peu à peu comblé avec l’accumulation des sédiments et de la matière organique (déplacer la main pour afficher le calque, © NRG).

b) Espèces animales

Le réchauffement du climat lors de l’Holocène et la chasse mène à la disparition de nombreuses espèces présentes lors de la glaciation wurmienne dans les Alpes (renne, bœuf musqué, etc.) voire de la surface terrestre (mammouth, rhinocéros laineux, etc.). Dès lors, le climat tempéré des vallées permet le développement de la faune alpine (chamois, bouquetins (figure 6.7), cerf, chevreuil, marmotte, aigle royal, chocard, etc.). Les principaux prédateurs (loups, ours) sont peu à peu exterminés par l’Homme (le dernier ours du Val Montjoie a été tué à la Laya-Combe Noire en 1885) alors que l’extension des zones d’alpage lors des derniers millénaires a limité les habitats naturels.


Figure 6.7: Bouquetins (capra ibex) estivant dans le vallon de Covagnet. L’espèce, peu craintive à l’égard de l’Homme, est presque entièrement exterminée dans les Alpes au 19ème siècle. Elle a été réintroduite, notamment depuis les années 60 et est protégée en France depuis 1981 (© NRG).

c) L’Homme

Si des tribus de chasseurs nomades sont présentes dans les Alpes depuis près de 50 000 ans, la sédentarisation de l’Homme dans le paysage alpin date seulement des derniers millénaires. Elle est donc très récente à l’échelle du temps géologique. Il y a 3 000 ans, le Val Montjoie est colonisé par les Ceutrons, une peuplade de cultivateurs d’origine ligure. Les sédentaires, qui forgent des outils toujours plus performants, cultivent la Terre (céréales), exploitent la forêt (bois), extraient le minerai présent dans les roches (métal) et possèdent du bétail. Très vite, le col du Bonhomme, en raison de sa situation géographique et sa facilité d’accès, devient un lieu de passage important. Le village des Contamines et des nombreux alpages se développent (figure 6.8). À l’instar de nombreuses autres situations alpines, la pression de cette société agro-pastorale sur l’environnement s’intensifie et atteint son paroxysme (surcharge des alpages, déforestation maximale, problème de famine et de crues répétées, etc.) autour du 19ème siècle dans le Val Montjoie et contraint une émigration importante. Cette société connaît une profonde mutation au 20ème siècle avec le développement de l’industrie (usines dans la vallée de l’Arve et hydroélectricité dans le haut Val Montjoie) et surtout du tourisme. Essentiellement tourné vers les sports d’hiver, le tourisme modifie profondément la situation socio-économique et l’environnement dans le haut Val-Monjoie. Ainsi, voulant équilibrer le territoire communal entre l’espace occupé par l’Homme (fond de vallée et domaine skiable) et l’espace naturel, les élus locaux décident de créer une réserve naturelle pour protéger les secteurs du massif du Mont-Blanc et de Roselette/Pennaz. Celle-ci verra le jour en 1979 et couvre actuellement 55 km2. L’influence de l’Homme sur le paysage est discutée plus en détail dans le chapitre 8.


Figure 6.8 : L’alpage des Prés s’est développé sur un espace plat en altitude (pâturages de la Balme, Plan de la Fenêtre) lié à l’érosion glaciaire et favorable au bétail. Le secteur des chalets correspond à la partie amont d’un glissement de terrain (fossilisé ?). Pour exploiter les alpages, l’Homme a défriché ces espaces (© NRG).


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