La disposition des roches dans le paysage est le fruit d’une longue histoire géologique. Ces roches vont ensuite être façonnées à la surface terrestre. Ce grand travail de sculpture, qui a donné les formes du paysage alpin actuel, est essentiellement l’œuvre des glaciers.


Figure 3.1: Paysage du haut Val Montjoie aux Aravis il y a 30 000 ans depuis la crête des Fours. Seuls quelques sommets rocheux - des nunataks - émergent de la calotte glaciaire (déplacer la main pour afficher le calque; photo J. Heuret, © NRG).


Figure 3.2: Cycle d’érosion (© NRG).

L’érosion des Alpes

Suite à la collision/subduction entre l’Europe et l’Apulie (voir le chapitre précédent), le relief alpin apparait à la surface terrestre il y a environ 40 Ma. Il est alors sujet à l’érosion, un processus où les roches (on parle de roche mère) sont altérées et fracturées en sédiments (fragments de roche, figure 3.2). Ces sédiments sont parfois transférés et déposés ailleurs. Le relief est ainsi constitué d’un ensemble de formes d’érosion et de dépôts sédimentaires, généré par différents agents d’érosion (le climat, la gravité, l’Homme, etc.). Pendant des milliers d’années, le relief alpin est ainsi modelé dans un milieu tropical où les rivières jouent un rôle fondamental dans l’érosion, le transfert et le dépôt des sédiments. Ceux-ci sont principalement accumulés dans de grands bassins (comme l’actuelle plaine du Pô ou du Rhône et qui se retrouvaient parfois envahis par la Mer). La Molasse, une roche issue des sédiments alpins et que l’on retrouve sur le plateau suisse et dans l’avant pays savoyard (entre La Roche-sur-Foron et Aix-les-Bains) témoigne de cette période d’intense érosion du relief alpin et du volume de sédiments produit.



Figure 3.3: Evolution des températures et glaciations à la surface terrestre depuis la formation de la Terre (modifié d'après SSGm,©NRG, cliquer pour agrandir)

Les glaciations

Il y a 2,6 Ma, le climat se refroidit nettement à la surface terrestre (figure 3.3). Ceci s’explique en partie par la tectonique des plaques : le positionnement de l’Antarctique au Pôle Sud entraîne la formation d’un courant marin froid qui fait baisser la température des eaux océaniques et du climat terrestre. Les températures varient alors cycliquement et une vingtaine de périodes froides (glaciations) et chaudes (interglaciaires) se succèdent. Dans les Alpes, ces variations climatiques entraînent les apparitions successives de glaciers et de rivières, poursuivant l’érosion du relief. Les glaciers, en raison de leur masse et des surfaces qu’ils recouvrent, sont les agents d’érosion les plus puissants à la surface de la Terre. Ainsi, leurs occupations des Alpes à plusieurs reprises ont marqué profondément le relief. Dans ce prolongement, bien que nous vivions depuis 11 000 ans dans une période interglaciaire (l’Holocène), les formes du paysage alpin sont largement héritées de la dernière glaciation (le Würm) qui s’est étendue de 115 000 à 11 000 BP (Before Present). Cet héritage est particulièrement visible dans les secteurs composés de roches cristallines (Massif du Mont-Blanc, Massif des Ecrins, Vanoise, Oberland Bernois, etc.). En effet, ces roches très résistantes, après avoir été modelées par les glaciers, ont été peu affectées par les processus d’érosion post-glaciaire, beaucoup moins puissants.


Le système hydro-climatique glaciaire

Un glacier est une masse de glace qui, en raison de sa plasticité, se déforme sous l’effet de la gravité. Cette glace résulte de l’accumulation puis de la compaction de la neige. C’est un système hydro-climatique qui dépend fortement des précipitations et des températures (figure 3.4). Les glaciers recouvrent les secteurs froids et humides de la surface terrestre et leur extension dépend du climat. En effet, leur développement dépend du rapport entre l’accumulation de neige/glace et la fonte du glacier. En ce sens, un glacier peut être divisé en deux zones en fonction de la dynamique dominante :

  • une zone d’accumulation (la neige s’accumule et forme de la glace) en amont ;
  • une zone d’ablation (la glace fond et se transforme en eau) en aval.


Figure 3.4: Coupe schématique d'un système hydro-climatique glaciaire
(modifié d'après SSGm, © NRG).

La ligne d’équilibre glaciaire (ou ligne de névé) sépare ces deux zones et correspond au secteur où le glacier n’a ni perdu, ni gagné de volume. Le bilan de masse permet de connaître l’état de santé d’un glacier. Pour ce faire, il faut calculer le volume de glace accumulé et fondu dans un glacier pendant un an. Si le bilan de masse est positif, le glacier gagne du volume et sa langue (ou front : partie la plus à l’aval) gagne du terrain. À l’inverse, si le bilan de masse est négatif, le glacier perd du volume. L’idée d’un glacier qui recule avec un bilan de masse négatif (par exemple avec un réchauffement du climat) est fausse : la glace continue à fluer vers l’aval mais la fonte est plus rapide que l’avancée de la glace et la surface glaciaire diminue.


L’érosion glaciaire et ses traces dans le haut Val-Montjoie

Il y a 30 000 ans, lors de la dernière glaciation, le relief alpin est largement recouvert par les glaciers qui s’écoulent jusqu’au Piémont (le glacier de l’Isère atteint la région lyonnaise). Le paysage ressemble alors au Groenland actuel, où seuls les plus hauts sommets émergent d’un océan de glace (figure 3.1). Dans le haut Val-Montjoie, le niveau de la glace atteint 2400-2500m d’altitude (plus de 1000m de glace au-dessus du village des Contamines) et seules quelques crêtes rocheuses du Massif du Mont Blanc (Pointe de Chaborgne, Aiguille des Glaciers, du Mont Tondu à la crête des Fours, etc.) ainsi que le secteur de Roselette-Pennaz affleurent.


Figure 3.5 : Roches moutonnées dans le secteur du Mauvais Pas (© NRG).

Pour comprendre le rôle prépondérant d’un glacier dans le façonnement d’un paysage, il faut le considérer comme un bulldozer qui arrache, écrase, polit les roches sous son poids, lorsqu’il s’écoule. Ainsi, les roches sont abrasées, arrondies par son passage (on parle de roches moutonnées ou encore de dos de baleines, figure 3.5) alors que les sédiments produits et transportés par les glaciers sont appelés des moraines.

Ce bulldozer, plus large, épais et lourd qu’une rivière, est le plus puissant agent pour éroder/transporter/déposer des sédiments. Il incise de grandes vallées, profondes et larges (en forme de U, appelées auges glaciaires, figure 3.6) qui contrastent avec les étroites vallées érodées par les rivières alpines (en forme de V). La vallée du Bon-Nant entre le vallon de la Rollaz et le Cugnon ou encore la vallée de l’Arve entre Passy et Cluses sont de beaux exemples de larges vallées à fond plat et cernées de versants abruptes héritées de l’incision glaciaire.


Figure 3.6: Quelques grandes formes typiques de l'érosion glaciaire (modifié d'après les travaux de Max Maisch, déplacer la main pour afficher le calque, © NRG).

Plus un glacier est épais et lourd, plus sa capacité d’érosion est grande. Une vallée occupée par un grand glacier est surcreusée par rapport à une vallée recouverte par un plus petit glacier. Il en découle une hiérarchisation des vallées : la vallée principale est plus profonde et plus large tandis que les vallées secondaires et les versants où l’épaisseur de glace est plus faible sont moins érodés (figure 3.6). Ceci explique l’érosion intense subie par la vallée principale du Bon-Nant par rapport aux vallées et versants latéraux surélevés (secteur du Plan de la Fenêtre, vallon de Tré-la-Tête, vallon d’Armancette).

Une roche tendre s’érode plus vite qu’une roche résistante. Ce principe s’applique particulièrement à l’érosion glaciaire : les secteurs peu résistants (zones de schistes ou zones avec de nombreuses failles) ont été surcreusés alors que les zones résistantes (zones de gneiss non fracturé) demeurent peu érodées. Il en découle la formation de vallées avec un profil amont-aval typique, présentant une succession de verrous (secteur rocheux et raide correspondant à une zone résistante) et d’ombilics (secteur dépressionnaire ou plat correspondant à une zone de faiblesse). Le profil amont du Bon-Nant illustre à merveille cette érosion différentielle en pallier successif entre les ombilics aux faibles pentes et les verrous raides (figure 3.7). De même, la Combe Blanche, la Combe Noire et la Rosière correspondent à des zones moins résistantes exploitées par l’érosion glaciaire.


Figure 3.7 : Les paliers (ombilics) et ressauts (verrous) successifs sont hérités de l'érosion glaciaire. L'ombilic et le verrou de la Rollaz sont hypothétiques et le ressaut est peut être uniquement lié à la moraine de Pré-Derrière (Mpd) qui obstrue la vallée (modèle 3D tiré de Google Earth, © NRG).

Finalement, à l’amont, l’érosion glaciaire ronge lentement les secteurs rocheux, sculptant des parois raides et effilées comme on peut le voir avec les nombreuses arêtes (Dômes de Miage, Arête de Tricot, etc.) présentes dans le massif du Mont-Blanc. La neige est accumulée au pied de ces versants raides et se transforme en glace. Les principaux sommets sont ainsi cernés de cirques glaciaires (dépressions à fond plat où la neige peut s’accumuler). Ces cirques gagnent peu à peu du terrain vers l’amont et dessinent de grandes faces rocheuses dont le Cervin, l’Aiguille Verte, le Mont Tondu ou l’Aiguille de Tré-la-Tête sont de très bons exemples.


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